Catherine MANGANO

AXIS MUNDI par Alcyone (Catherine Mangano) - Extraits - Chap.16 LE POINT ALPHA

 

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Je me remets à peine de mes émotions, lorsque j’aperçois au loin un petit point de rien du tout qui grossit à vue d’œil. Ça pourrait être mon salut, mais je reste sur mes gardes. On ne sait jamais ! Trois individus apparaissent au-dessus d’un arc-en-ciel. Avec l’effet de la réverbération, comme pour un mirage, ça ne fait plus l’ombre d’un doute : c’est encore une de ces foutues hallucinations ! Le petit groupe se dirige vers moi. Une gerbe lumineuse, resserrée en queue-de-cheval sur leur nuque, émet des reflets mauves, jade et ambres. Cette aura irisée suggère leur silhouette dans la transparence. L’un d’entre eux vient vers moi, tandis que les deux autres restent en retrait. Son regard est pénétrant. Une grande bonté s’en dégage :

« Le Gardien de l’Arche te salue. »

Sa voix, grave et profonde, résonne en moi. Il me tutoie. J’en déduis qu’il me prend pour l’un des siens :

« Bart Le Flot ! Enchanté de faire ta connaissance. »

Ma main reste suspendue dans le vide, tandis qu’il s’incline et se relève à la manière d’un bouddhiste :

« Bienvenue à toi, Jean-Bartholomé. »

Il m’accueille comme un père après une longue absence et je me sentirais presque le fils prodigue, si je n’avais pas une sacrée envie de me réveiller au plus vite.

« Nun Daleth est mon nom et ma valeur numérique est Cinquante-Quatre. » 

 

Mon intérêt pour l’alphabet sacré Hébreux remontait à ces années d’innocence où je croyais pouvoir percer les mystères de l’Univers en décodant les versets de l’Ancien Testament. Ces caractères avaient la particularité d’être doubles, à la fois lettre et nombre. La combinaison alphanumérique de la lettre N et de la lettre D, correspond bien au nombre cinquante-quatre. Elle signifie : « la Porte de la Transformation ». 

 

Eh bien nous y voilà ! Je me trouve sur le seuil. Je n’ai plus qu’à le franchir pour vérifier par moi-même la dure loi de la nature : tout ce qui a un commencement a une fin. Sauf que je ne me sens toujours pas raccord avec le timing. D’ailleurs, je n’avais jamais été synchro avec les grands rendez-vous de ma vie. Toujours un peu en avance ou un peu en retard Si ça se trouve, ce temps de latence va jouer en ma faveur. Ce serait le fameux coup de théâtre au moment du dénouement final. Reste à élucider la raison de la présence de cet étrange personnage qui me couve du regard. Il s’agit peut-être d’un extraterrestre. Son apparence humanoïde ne serait qu’un camouflage pour favoriser le contact avec les créatures rencontrées au cours de son expédition. À moins que N.D.54 soit un numéro de série ? Et si c’était un robot très évolué ? Le projet de recourir à l’Intelligence Artificielle pour traiter des informations d’une extrême complexité n’était pas récent. Certains spécimens étaient expérimentés dans des zones désertiques. Je suis très impressionné. Ce prototype a largement dépassé le raisonnement binaire du « oui » et du « non » pour atteindre celui de la pensée analogique.

« Je suis désolé de te décevoir, mais je ne suis pas plus avancé que toi. »

Il a lu dans mes pensées, ce qui lui donne un certain avantage.

« Et qu’est-ce qui t’amène ? » 

Il flotte en apesanteur à environ quatre-vingts centimètres au-dessus du sol et projette sur moi un puissant rayon ambre.

« J’ai atteint ma destination. C’est toi que je cherche. »

Je viens de prendre une balle de tennis à une vitesse d’environ 190 km/h dans l’estomac :

« Ah bon!! Et pourquoi donc?»

Je fouille les alentours à la recherche d’un sauveteur de dernière minute, mais, en dehors de sa garde rapprochée, je ne vois personne.

« Je t’expliquerai plus tard. Suis-moi ! »

Rien n’est plus difficile à admettre que l’évidence. Je veux bien être refondu dans le magma universel pour reprendre forme sous l’expiration du maître Souffleur. Je veux bien être ce mélange de sable, de soude et de potasse porté à son point de fusion pour atteindre cette transparence et cette fragilité du verre qui le rend assez pur pour y recueillir le breuvage sacré. Je veux bien redevenir ce calice de cristal. Mais, avant cela, je veux retrouver Clara. Je veux la serrer une dernière fois dans mes bras et lui dire de vive voix tout ce qu’elle n’avait pas su lire dans mon regard.

 

« Impossible ! Moi, je vais à Cuzco ! En revanche, si je peux faire quelque chose pour toi… »

Il m’examine de son étrange regard aux reflets changeants comme s’il me passait au rayon laser : « As-tu seulement la moindre idée de ce que tu peux faire pour toi-même ?

— À vrai dire, je l’ignore. Mais tu peux sûrement m’éclairer. »

Je lui montre la Jeep légèrement penchée sur la piste :

« Ma roue s’est encastrée dans une ornière et j’ai presque tout remblayé. Je suis sur le point de repartir, à moins que tu puisses me faire gagner du temps. Je ne vois pas ce qui me retiendrait ici une seconde de plus. » 

Je lui montre la bouche fluorescente creusée dans la montagne

« Tu connais peut-être ce raccourci. J’ignore où il conduit. »

T’inquiète, rien de tout cela n’est réel. Je tourne ma petite météorite au fond de ma poche, tandis qu’il rayonne dans un halo de lumière dorée :

« Le secteur est très instable. Avec la fonte des glaciers, des petites lagunes se sont formées. Au moindre mouvement du sol, elles s’effondrent. C’est sûrement ce qui s’est produit quand la terre s’est mise à trembler. »

Il hoche la tête d’un air entendu. Ça suffit ! Je lui en ai assez dit. Une force étrangère à ma volonté m’oblige cependant à continuer :

« Pendant les secousses, je me suis réfugié dans la Jeep. Ensuite, ça n’a pas fait un pli, la montagne s’est renversée. Je me suis miraculeusement retrouvé dans une poche d’air. Là, j’arrivais à peine à respirer, mais assez pour ramper le long de cette veine d’oxygène jusqu’à la surface. Arrivé là, qu’est-ce que je découvre ? ! La Jeep toujours posée au même endroit ! Je la retrouvais comme je l’avais laissée, un peu penchée sur le côté devant la muraille rocheuse. Rien n’avait bougé à un détail près. À la place de la faille, tout juste assez grande pour laisser passer un homme, il y avait cette même porte ronde et ruisselante toute remplie de lumière qui est là devant nous ! »

Un rayon jade traverse son regard :

« Ta détermination est une précieuse qualité et je l’apprécie à sa juste valeur, mais… »

Je devrais me sentir soulagé. Sauf que j’ai les jambes molles comme de la flanelle.

« … j’ai un plus grand projet pour toi. »

Je fais un pas de côté, pour m’extirper de la torpeur qui me gagne. Il se déplace avec moi en maintenant la distance entre nous. Il faut que je sorte de son champ magnétique. C’est comme ça qu’il me maintient sous son emprise.

« Rien ne se fera sans que tu ne le veuilles aussi au plus profond de toi. Ta sincérité fera la différence. »

Retrouver Clara, c’est tout ce que je veux.

« J’aimerais passer un message à une amie, Clara. Elle ne sait pas où je suis. Ça fait plus de six semaines qu’elle est sans nouvelles. Il faut qu’elle sache que je vais bien et qu’elle doit m’attendre. »

Un songe ferait l’affaire, mais elle ne fait pas partie de ces gens qui croient que leurs rêves sont le vrai monde. « J’observe que ta parole et ta pensée divergent.

— Je ne comprends pas, dis-je en résistant de toutes mes forces à son attraction.

— Où est la vérité ? continue-t-il sur le même ton paternel qui commence à me porter sur les nerfs.

— Allo ?…Allo ?… J’entends plus rien ! »

Mais il ne me laisse pas le temps de lui jouer la scène du gars qui passe sous un tunnel et dont le portable ne capte plus le réseau.

« Qui crois-tu donc tromper ? ! Tu sais très bien que ce que tu me demandes est impossible. »

Je me fissure de tout mon long comme une épaisse couche de macadam sous les assauts d’un marteau-piqueur.

« J’ai mieux à te proposer ! Es-tu prêt à vivre une expérience extraordinaire ? »

Échec au Roi. Je cherche la pièce à bouger pour sauver ma reine.

« Les progrès technologiques de ta civilisation sont très prometteurs. »

Il décrit un arc de cercle au-dessus de sa tête. À suivre la direction de sa main, nous occuperions les étages supérieurs :

« Ils permettent de circuler dans l’espace, de voir et d’entendre à distance. » 

Sa voix vibre douloureusement dans ma tête. J’ai l’impression d’avoir un implant auditif dans le cortex. Je réagis certainement aux décharges électromagnétiques qu’il m’envoie et j’ai largement dépassé le seuil de saturation.

« Nos mondes ne sont pas si différents. Nous pourrions apprendre à nous connaître, à communiquer ensemble, à œuvrer la main dans la main vers un but commun… »

On dirait le discours d’ouverture de Louison, lorsqu’elle accueillait son groupe d’inconnus à la maison. Elle leur disait toujours la même chose, qu’il fallait rassembler leur énergie dans une même direction pour créer ensemble une œuvre commune. Elle parlait aussi de cette fameuse Centrale d’Énergie qui transformerait le monde et rendrait les hommes meilleurs, s’ils voulaient bien se prendre par la main.

« …mais, avant de me donner ta réponse, je t’invite à visiter l’univers d’où je viens. »

C’est donc pour maintenant ? J’ai l’impression que toute ma vie se concentre sur cet instant. Je prends cependant tout mon temps pour peser le pour et le contre. Même s’il serait plus prudent de refuser, le programme reste attractif. Seulement, passer de l’autre côté du miroir n’avait jamais été ma priorité. S’il me laissait le choix, je crois bien que je préférerais retourner à ma petite existence sans surprise. D’un autre côté, je suis peut-être arrivé au bon moment, au bon endroit pour soulever un petit pan du voile et apercevoir la face cachée de la réalité.

« Y a-t-il seulement un sens à tout cela ? »

Il amorce une descente et se pose à deux pas de moi :

« Est-il nécessaire de te donner une explication ? Y a-t-il une raison à ta présence ici ou ailleurs ? Est-il besoin qu’il y ait une direction linéaire, avec un début et une fin ? Entre les deux, il existe plein d’autres possibilités, me répond-il en se plaçant à l’entrée du passage. Il te suffit d’entrer dans la ronde pour ne plus en douter. » 

À son approche la sphère brillante s’est reformée instantanément. Allons bon ! Ça recommence ! Sans avoir à me déplacer, j’aperçois le cône étincelant. Je sais ce qui m’attend après. À l’idée de revivre l’intermède son et lumière de la grotte, j’ai bien envie de me laisser faire. À part que quelque chose me retient. Après une expérience de mort artificielle, tous les témoignages se recoupaient. Lorsqu’il apparaissait, c’était le signe du grand départ. Seulement, je n’ai pas le temps d’approfondir. Un jet de lumière part de son front et me relie à lui comme une corde de rappel tendue entre deux alpinistes. Je ne me sens pas plus en sécurité pour autant. Une sensation de fourmillement se diffuse dans mon corps. J’ai l’impression d’être un sablier qui se remplirait avant de se retourner. Je lutte de toutes mes forces pour résister à cette pluie sèche et dense qui me pénètre comme un vent de sable. Je t’aime, je t’aime, oh oui, je t’aime… Cette fois, la petite ritournelle ne change rien. Pas besoin d’enfiler une combinaison spatiale en plein vide sidéral pour me soulever du sol. Bon sang ! Qu’est-ce qu’il m’arrive ? ! Les pieds en l’air et la tête en bas, je suis visité par l’insoutenable légèreté de l’être. Sauf que je ne me sens pas aux normes pour supporter la charge. Avant que cette bouche remplie de lumière ne m’avale tout rond, je rassemble tout ce qu’il me reste d’énergie pour aller droit au but :

« Je suis d’accord pour la visite, à condition que tu avertisses Clara. Il faut que tu lui dises de ma part de ne pas s’en faire, que je vais bientôt revenir. »

J’utilise son langage pour bien me faire comprendre. Des phrases claires, courtes avec un vocabulaire simple et aucune divergence entre ma pensée et mes paroles.

« Tu as ma parole. Elle t’attendra aussi longtemps qu’il le faudra. Ensuite le choix te sera à nouveau proposé. »

Un mur fluide et transparent me sépare de mon compagnon. Il me suffit de le traverser pour aller le rejoindre. Si j’ignore les ressources insoupçonnables qui sommeillent en moi, le moment est sans doute venu de les explorer. En attendant, je compte bien me souvenir de ce mauvais rêve. À moins que, plongé dans le coma, à la suite d’un traumatisme crânien, je me réveille avec une amnésie partielle ou totale. Philéas et don José avaient raison. Je suis sur le point de passer la porte du temps. Il ne me reste plus qu’à témoigner pour la postérité de ce voyage au centre du monde. Seulement, il ne me semble plus aussi nécessaire qu’il y ait un sens à tout cela. Un puissant courant me fait pivoter sur moi-même. Une sensation de bien-être m’envahit, comme si, à très haute altitude, je survolais les nuages. À mes côtés, je ressens la présence de N.D. 54.

« Je t’emmène à la source, là où tout ce qui existe dans tous les mondes possibles prend naissance. »

Sa voix a perdu cette sonorité métallique qui me perforait le cerveau :

« Par un simple influx psychique, nous allons nous y projeter. »

Nous pénétrons dans un espace aussi léger et translucide qu’une bulle d’air.

« Tout ce que tu perçois est sur le mode hallucinatoire d’une vision sans objet. Elle est comparable à celle qui se produit lorsque le système nerveux central d’un cerveau humain est en phase de sommeil paradoxal. Ces images traduisent des idées abstraites. Ce sont des concepts. »

C’est bien ça, je suis en train de rêver ! En rangs serrés, des bancs de reflets argentés comme des sardines m’encerclent en décrivant des orbes concentriques. Des parfums s’en dégagent. Ces arômes sont délicats, suaves. La combinaison des fragrances est subtile, d’une infinie diversité. Mais comment est-ce possible ? Une odeur provient toujours d’une matière organique. Or, ici tout est immatériel, puisque je dors !

« Comme tu en fais l’expérience, il est possible de transposer tes sensations physiques sur un plan psychique. Chaque situation peut-être vécue en mode virtuel. L’imaginaire permet cette vision intérieure. »

Je suis bien dans cet état de conscience altéré qui me permet de sentir autrement qu’avec mon nez, de voir autrement qu’avec mes yeux, d’entendre autrement qu’avec mes oreilles. Je ressens mon environnement autrement qu’avec mes terminaisons nerveuses.

« Dans ton monde, le monument survit au culte. Les sites archéologiques en sont la mémoire. Ils témoignent d’une croyance qui leur survit. Nous n’avons pas besoin de sanctuaires pour honorer nos dieux, notre esprit est ce temple. »

Une preuve concrète m’aiderait à mieux comprendre :

« Est-ce que ces essences embaumeront toujours l’espace, une fois que je ne serai plus là pour les sentir ? » Son regard vire du rose au jaune : « Le monde est réel dans la mesure où tu en as conscience.

— Et si je découvre que tu es la création de mon esprit, cette prise de conscience a-t-elle le pouvoir de te faire disparaître ?

— À travers l’ensemble des influx émanant de ton système nerveux, toute information transmise à ton cerveau est aussitôt mémorisée. Elle est enregistrée comme réelle et rien ne pourra plus l’effacer.

— La seule réalité serait donc celle de l’esprit ?

— Ces stimulations psychiques permettent de prolonger les expériences vécues sous la forme de souvenirs. C’est à partir de ce processus de mémorisation que se construit le temple dont je t’ai parlé. Aucune atteinte du temps, aucune force destructrice ne pourra l’anéantir car il est immatériel et n’a ni commencement, ni fin. »

Je m’inquiétais pour la survie de mon corps, mais je n’avais aucun souci à me faire pour celle de mon esprit.

« De même, lorsqu’une inspiration se concrétise après un long processus de cristallisation, elle retourne se refléter au-delà du temps et de l’espace comme dans un miroir. C’est ainsi que nos deux mondes collaborent à leur évolution réciproque. Une interface les relie en permanence dans un système interactif très complexe.

— Tu veux parler de « l’effet papillon », ce mouvement émis à un point du globe, dont les effets se ressentent à l’autre bout ?

— Un peu comme la présence du divin dans le souffle de vie. »

Des reflets bleutés miroitent à l’infini. L’horizon s’étire à perte de vue et ma vision devient panoramique. Un angle à 360 ° s’ouvre à moi. Tout ce que je découvre me paraît si familier que j’ai l’impression de me trouver en terre de connaissance. Je m’y sens à l’aise, comme si j’y avais été depuis toujours chez moi. « Voici la matrice originelle. Ici se trouve la source de toute chose. » Je me laisse traverser par ce puissant courant d’énergie, tandis qu’un bruissement de feuilles nous guide vers une clairière. Un souffle frémit à travers les puissantes ramures d’un arbre majestueux :

« Voici le passage entre nos deux mondes, le pont tendu entre le ciel et la terre. Il est le chemin qu’empruntent les esprits. »

Le rituel chamanique de don José se déroulait aussi au pied d’un de ces géants feuillus de la forêt vierge, l’Araucaria. Sa prédiction me revient à l’esprit. Je veux juste me persuader que ce petit détour par le jardin de l’Éden n’était pas prévu au programme. Sauf que ce n’était peut-être pas une erreur d’aiguillage. Le vieil Indien savait probablement que je n’étais pas parti pour visiter le Jardin d’Or de l’Eldorado. T’inquiète, ce n’est qu’un songe.

« Depuis ses profondes racines, jusqu’à ses plus hautes branches, ils montent et descendent. »

On dirait l’échelle de Jacob ! La tradition ésotérique évoquait cet itinéraire à double sens. D’abord, dans le sens de l’aller, depuis le haut vers le bas, puis dans celui du retour, depuis le bas vers le haut.

« D’ici, tout part et tout arrive. »

Je regarde cet arbre avec des yeux ronds, mais je ne crois toujours pas ce que je vois. Il faudrait mordre le fruit défendu pour faire la différence entre ce qui est vrai et faux. Mais, même si mon compagnon veut bien se transformer en serpent, moi, je ne changerai pas d’avis. Rien de tout cela n’est réel. Je suis en train de dormir et je ne vais pas tarder à me réveiller.

« Tu es le seul obstacle à ta réalisation. Certains blocages énergétiques t’empêchent de t’ouvrir au monde qui t’entoure pour occuper pleinement ta place dans ton environnement et donner à ton action tout son rayonnement. »

Le lieu perd d’un coup de sa féerie. J’ai l’impression d’être coincé dans le cabinet de consultation d’un psychothérapeute. Je n’ai plus qu’une envie : rebrousser chemin et retrouver cette sensation de lourdeur qui écrasait mon corps au contact du sol.

« Le merveilleux dépasse ton entendement. D’un autre côté, tu acceptes de ne pas tout comprendre. Tant de questions restent encore sans réponse ! Cependant, repousser les limites du savoir n’est toujours pas ta priorité et la transcendance ne semble pas faire non plus partie de ta recherche. Pourtant, c’est uniquement parce qu’elle te paraît inaccessible que tu passes à côté sans la voir. Elle est si simple, si naturelle ! Elle se produit dès que le courant passe entre deux êtres. »

Ce serait trop beau pour être vrai !  Je multipliais les rencontres, mais aucune ne m’engageait. Je préférais ruminer mes bonnes raisons de ne rien changer à ma vie plutôt que de la remettre en question. C’était ma façon de me protéger et en même temps ça ne me satisfaisait pas non plus. J’avais l’impression de passer à côté de quelque chose. Mais, de là, à dire qu’il s’agissait de la transcendance, il y avait quand même de la marge !

« Il suffit d’avoir un seul vrai ami pour en faire l’expérience. C’est comme entre toi et moi. Il n’est pas nécessaire de faire partie du même univers pour avoir envie de faire connaissance. Il faut juste accepter de passer de l’autre côté de la barrière. Déplacer son corps ou sa conscience, ce n’est pas si différent. Il faut juste en avoir envie. C’est cette motivation qui donne l’énergie de dépasser ses peurs face à l’inconnu. Alors une sérénité s’installe. Tout sentiment de séparation disparaît. On se sent en harmonie avec tout l’univers. Cette union avec tout ce qui existe, donne, avec la force d’aimer, le bonheur de vivre. Alors on se sent heureux. »

On m’avait plutôt enseigné l’inverse. La sagesse prônait le détachement, le renoncement. On était loin du culte de la relation humaine.

« Les apparences sont trompeuses. Vivre en ermite en se coupant du monde revient parfois à se fuir soi-même. Un peu comme ces paradis artificiels qui ont l’effet éphémère d’apaiser les angoisses. Endormir ses démons n’est pas les vaincre. Il faudra, un jour ou l’autre, les affronter, lorsque, privés de leurs somnifères, ils se réveilleront. À ce moment-là, l’occasion sera donnée de découvrir son vrai visage. Lorsque les manques ne sont plus masqués, l’illusion disparaît. C’est en acceptant de se voir tel qu’on est que l’on peut devenir soi-même. »

Bon sang ! Ma clé USB ! Je n’avais pas pensé à vérifier si je l’avais toujours. Ouf ! Elle est là.  Avec un soupir de soulagement, je la fais tourner entre mes doigts. C’est en acceptant de se voir tel qu’on est… L’ivresse des plus grands nombres n’avait pas eu raison de mes faiblesses. En fait, je n’avais jamais triomphé de mes addictions. Je les avais seulement déplacées, remplacées par d’autres toujours plus inaccessibles. À chaque fois, j’avais réussi à me dépasser. Seulement, aux dires de cet étrange personnage, ce n’était pas cela qui me ferait grandir. Ce n’était pas cela la transcendance. J’aimais concevoir des théories, des systèmes de plus en plus performants pour affiner mes diagnostics, asseoir mes prévisions. Rien de plus. Pour moi, la quête était plus stimulante que la découverte. Lorsque je trouvais une solution, un court moment d’abattement s’ensuivait. Il me fallait aussitôt trouver un autre sujet pour ne pas ressentir à nouveau ce mortel ennui qui m’engluait des journées entières dans l’incapacité d’aligner la moindre pensée. La seule urgence était d’y échapper. Je savais que, si je ne réagissais pas tout de suite, je redeviendrais ce gars infréquentable, taciturne et silencieux. Je n’entendrais plus rire autour de moi et me retrouverais sans personne à qui parler. Les relations superficielles me suffisaient pour me rassurer, mais je ne voulais pas créer de lien. L’idée de la séparation m’était insupportable. Rien ne durait jamais autant qu’on le voudrait. Tout ce qui avait un commencement avait une fin. C’était la règle, mais aucune exception n’était encore venue la confirmer. Un rayon mauve m’enveloppe et j’ai l’impression que je ne peux rien lui cacher, qu’il lit en moi chacune de mes pensées.

« Le regard d’un véritable ami est sans jugement. Il sait voir l’essentiel au-delà des apparences. »

Ma tête est sur le point d’exploser. Mes yeux me piquent. Non ! Je ne vais pas fondre en larmes devant lui ! Je ne me sens pas encore rempli de cette ardeur, dont il me parlait tout à l’heure, mais mon désir ne fait que grandir. 

« Je veux bien tenter l’impossible pour retrouver Clara !

— Rien ne presse », réplique-t-il dans un voile parme.

Je me sens trahi.

« J’ai rempli ma part du contrat ! À toi de respecter ta parole ! »

La révolte gronde en moi.

« Tu dois d’abord faire la paix avec toi-même. »

Je viens de prendre un sacré coup au moral.

 

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11/02/2023
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